L’alcool s’est invité à la table de la presse en janvier, un discours unique motive-t-il ?
A-t-on déjà autant parlé alcool dans la presse qu’en ce mois de janvier 2019 ?
Entre le plan national de mobilisation des addiction 2018 / 2022 paru début janvier 2019, l’intervention du ministre de l’agriculture à propos du vin et les articles portant sur le Dry January, quasiment tous les médias, de la presse écrite à la télévision ont abordé le sujet de l’alcool.
La position des divers professionnels de l’addictologie semble entendue : il est nécessaire de mener une démarche de santé publique plus ambitieuse sur cette question. La plupart des journalistes vantent les bienfaits du « sans alcool »et relèvent les stratégies des lobbies de l’alcool et du vin pour que les ventes ne diminuent pas.
Ce mois-ci, les articles critiques quant à ce discours sont finalement très marginaux.
Cette parole unique est-elle bon signe ou renforce-t-elle au bout du compte les résistances ?
Pour amener un grand nombre de personne au changement, ne serait-il pas nécessaire de relayer plus clairement les freins ancrés au niveau des représentations collectives comme on le fait dans un entretien motivationnel au niveau individuel ?
Ces freins sont-ils uniquement économiques ?
Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018/2022 a été publié le 8 janvier 2019 par la MILDECA.
Pour le consulter : https://www.drogues.gouv.fr/la-mildeca/le-plan-gouvernemental/mobilisation-2018-2022
Avec des titres tels "plan addiction : l'alcool laissée pour compte" , "l'alcool épargné", "L’alcool, grand oublié du plan addiction 2018-2022"ou encore ""addiction à l'alcool, un plan tout en modération", les articles de presse ont été très critiques à propos des ambitions de ce plan, notamment sur le sujet de l’alcool et s’interrogent sur les moyens à disposition.
Si effectivement, peu d’éléments nouveaux concernant la prévention des consommations d’alcool à risque émergent de ce rapport, quelques directives sont données :
« L’enjeu désormais est de communiquer sur le fait que les risques liés à la consommation d’alcool pour la santé augmentent avec la quantité́ consommée (…) ainsi que sur les repères de consommation dits à moindre risque ». Il propose ainsi une mobilisation pour « changer de regard sur les consommations », en adoptant un discours public clair et partagé sur les risques et les dommages notamment liés à l’alcool, en relayant ce discours ainsi que les repères de consommation d’alcool à moindre risque auprès du grand public, des leaders et relais d’opinions, des professionnels de santé et du secteur social et médico-social, des enseignants, des éducateurs sportifs et des associations d’usagers.
Nous pouvons remarquer également qu’un chapitre du plan gouvernemental porte sur la réduction des risques et des dommages, un chapitre certainement à développer.
Le dernier article du blog JUST’DOSE de l’année 2018 posait la question suivante : Novembre, c’est le moi(s) sans tabac ! Pourquoi une aussi grosse campagne de prévention pour le tabac et rien pour l’alcool ?
C’était donc un article prémonitoire !
L’idée du mois sans alcool, inspiré du Dry January anglais ou de la Tournée Minérale belge a fait beaucoup de chemin en France en quelques années. Depuis début janvier 2019, suggéré par des acteurs de l’addictologie mais non porté ni organisé par le gouvernement, à la différence du mois sans tabac, les médias ont si bien relayé le concept qu’il semble presqu’aussi connu que le mois sans tabac ! Les bienfaits d’un mois sans alcool sont décrits ça et là, sur les réseaux sociaux des groupes s’organisent et les précautions portées par quelques professionnels quant aux risques de sevrage non encadré l’an dernier deviennent minoritaires dans ce flot de bénéfices annoncés.
La mode du « sans alcool » émerge même dans les bars et durant la Paris Cocktail week (https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/01/17/sans-alcool-la-recette-est-plus-folle_5410246_4497319.html) !
La démarche d’un mois sans alcool est en effet particulière par rapport au mois sans tabac : l’objectif est d’expérimenter une pause d’alcool afin d’en ressentir les bénéfices et pas forcément d’arrêter complètement à terme. Cette expérience, s’adresse avant tout à ceux qui ont un usage d’alcool qu’ils considèrent modéré ou social, à risque ou nocif. Pour les personnes dépendantes, le sevrage sans avis médical est déconseillé et la communication autour d’un « mois sans alcool » peut-être l’occasion pour elles de prendre conscience de leur dépendance et de se faire aider pour se soigner.
La différence avec le mois sans tabac tient à la répartition des usagers par rapport aux modes de consommations et à leurs conséquences.
- La majorité des usagers de tabac en est dépendante.
- Il y a plus de non-fumeurs que de fumeurs.
- Le tabac cause très peu de dommages sociaux et judiciaires.
- Le nombre de fumeurs « modérés » non dépendants est relativement faible.
Le mois sans tabac a donc pour vocation d’amener un grand nombre de fumeurs dépendants à devenir non-fumeurs au delà du mois de novembre. L’idée est d’impulser des sevrages tabagiques renforcés par la motivation collective. Les freins inconscients individuels au changement, la dépendance psychologique et comportementale entraînent souvent des rechutes avant que la tentative d’arrêt ne soit la bonne. L’élan national est donc motivant.
Ce qui facilite les choses pour la mise en place du mois sans tabac, c’est, à la différence de l’alcool, l’absence de déni de la consommation et l’absence de discours sur les bienfaits supposés du tabac par les consommateurs.
La spécificité des consommations d’alcool est que les usagers sont majoritaires par rapport aux non-consommateurs, qu’environ 60 % en font un usage modéré ou social, et qu’un quart des usagers en fait un mésusage, c’est-à-dire soit un usage à risque, soit un usage provoquant des dommages pour la santé, au niveau relationnel, psychique et/ou social soit présentent une dépendance en plus des autres dommages.
Le mois sans alcool vanté par les médias est intéressant pour déclencher des prises de conscience à propos des risques et des dommages et permettre aux consommateurs de se sentir mieux après la période de fêtes au cours desquelles les consommations modérées ne sont peut-être pas si modérées. L’idée n’est pas d’amener la population à l’abstinence mais à plus de modération afin d’éviter l’augmentation des consommations au cours de la vie et de ses aléas.
Alors, pourquoi des discours tels que celui du ministre de l’agriculture à propos du vin qui ne serait pas « un alcool comme les autres » ? Pourquoi la crainte d’une dérive hygiéniste ou prohibitionniste énoncée par les défenseurs du vin en particulier mais aussi discrètement dans un petit article du Magazine du Monde du 19 janvier 2019 appelé « le péril jeûne » ? Que risqueraient les consommateurs qui s’évaluent « modérés » avec ce type d’évènement mensuel ? Au delà des conséquences économiques que l’on pourrait imaginer pour les alcooliers si la consommation d’alcool diminuait massivement, n’y a-t-il pas derrière les réticences des instances gouvernementales et de ceux qui n’adhèrent pas à cette idée de la prévention des principes idéologiques tels que la notion de liberté individuelle et aussi une conception élitiste de la répartition des êtres humains, ceux qui savent faire et ceux qui ne savent pas ?
Pour lever ces résistances, la méthode de l’entretien motivationnel propose de « rouler avec le résistance », car essayer de convaincre produit souvent l’effet contraire, il la renforce. Les différents articles de presse cherchant à montrer que le vin est en fait « un alcool comme les autres » permettent-ils aux lecteurs et aux personnes visées de changer de représentation ?